Un autre chanteur québecois
1974. Une belle jeunesse tente toujours de s’expliquer ce qui s’est produit à l’automne 70. Mille et une questions qui les tiraillent et qui leur donnent le mal de mer. Heureusement, la chanson est au rendez-vous. On réapprend à connaître Leclerc, Vigneault, Charlebois et Léveillée. Les boÎtes à chansons pullulent. Le Québec a un son. 1974. Comme ça, un nouveau son s’installe. Une musique amerloque avec des paroles d’ici. Robert Paquette de son vrai nom.
Le gars du nord de l’Ontario. De la capitale du nickel. Sudbury.
On parle français en Ontario. Dorénavant, on chantera dans la langue de Molière.
Au Collège Sacré-Cœur, une institution de jésuites, Robert Paquette et quelques amis nagent dans la musique et la littérature ; lui, né de la portée d’après-guerre, formé dans les années 60 avec la génération du flower power, des jeunes qui prônaient la paix, l’amour et le voyage sous toutes ses formes. Il « saute » des cours pour faire la rédaction du journal du collège et de la musique.
1964 et quatre gars aux cheveux dans le visage redonnent au rock ses lettres de noblesse. C’est l’époque des groupes aux noms plus ou moins évocateurs. Sudbury, on passe ses samedis soirs avec les Zodiacs, pour le capitaine du même nom, plus tard avec Les Chat-Uteurs et finalement The Marketville Riot. Le plus illustre des trois, Les Chat-Uteurs, un groupe sans costume. Les costumes, ce sera pour plus tard avec Marketville Riot. Des vêtements genre Louis XIV avec des manteaux de velours, des vestes de satin, des boucles blanches au cou et des souliers du temps.
« C’était sérieux, on répétait 30 heures par semaine. » Trente heures par semaine de pratique, plus les cours au collège, ça laisse peu de temps pour la drague et pour les libertés de jeunesse. « On voulait percer » insiste Robert Paquette.
Dans ce temps-là, et c’est encore le cas aujourd’hui, visibilité était synonyme de Montréal ou vice-versa. Et qui disait visibilité, disait télévision : Jeunesse-oblige.
Au milieu d’une mer peuplée de Hou-Lops, de Classels, de César et ses Romains ou autres groupes à costumes québécois, trois jeunes Franco-ontariens. Mission accomplie pour les Chat-Uteurs et cap sur la grande ville. Et c’est le grand luxe. Aller retour en avion et séjour au Reine-Élizabeth, résultat : deuxième à ce concours national.
Les années passent et les influences suivent. Lennon et McCartney pondent le chef-d’œuvre des temps modernes et de nouveaux musiciens de pointe se manifestent. Ils ont un nom, Cream, Zepplin, Trafic, Rod Stewart, Paul Butterfield, Family, Moody Blues, Crosby, Stills, Nash, Neil Young, Joni Mitchell et Eric Anderson (trois Canadiens). Une génération suit. Place au Peace and Love.
« Mais j’avais le goût de chanter en français et de plus en plus, j’insistais pour parler français. Dans les magasins. Sur la rue. »
À l’Université Laurentienne de Sudbury, ils sont plusieurs à avoir le goût de vivre et de « tripper en français ». Mieux, ils décident d’écrire, de chanter et de jouer en français. Cette prise de conscience et d’identité, la première, aura pour première manifestation une création collective, la pièce de théâtre nommée Moi j’viens du Nord,’stie, dont la musique est écrite par Robert Paquette. Le groupe formé entre autres de Pierre Germain, Pierre Bélanger, Donald Laframboise, Jean-Paul Gagnon et des poètes Denis St-Jules, Gaston Tremblay et André Paiment, rappelez-vous de CANO, récidive l’année suivante, en 1971 avec le 7e jour, un spectacle multimédia avec trois musiciens sur scène dont Robert Paquette. Un spectacle-clé dans la carrière de Robert Paquette. Fini la chanson anglaise, s’était-il dit.
Le jeune franco-ontarien a dû s’armer de patience et attendre jusqu’en 1974 avant de voir finalement son nom sur une pochette de disque.
Une patience légendaire et une conviction à toute épreuve, pour celui qui avait été pincé, par sa mère, à l’âge de six ans avec une cigarette au bec.
Pour décrocher un contrat de disque, un démo, une carte de visite, s’imposait. Et par pur hasard, Robert Paquette cogne à la porte d’un studio d’enregistrement à Hamilton. On entre et on sort de cet endroit comme dans la porte tournante d’un magasin La Baie. Aujourd’hui, on comprend pourquoi. L’ingénieur avait pour nom Daniel Lanois, dont la famille avait quitté Hull plusieurs années auparavant. Daniel Lanois peu connu à l’époque est recherché par les plus grands noms de la planète aujourd’hui.
Le résultat a été concluant puisqu’après une tournée des compagnies de disque de Toronto, Robert Paquette a parcouru le chemin de retour avec cinq offres dans ses bagages. « Ces contrats m’ont un peu dérouté. Je comprenais ce qu’il y avait dans ces contrats mais je ne savais pas si ces pourcentages et conditions étaient dans les normes d’un bon ou d’un mauvais contrat de disque, et je ne pouvais pas vérifier avec d’autres puisque j’étais le premier et le seul à faire un disque en Ontario français. »
La vie fait bien les choses. Cette fois-ci, c’est à Sudbury, au Festival Boréal qu’il a aidé à mettre sur pied l’année précédente, que se trouve la solution. C’est là , durant la fin de semaine musicale, qu’il fait la rencontre qui allait tout chambouler, tout déclencher. Sur place, un duo Comme Chartrand, Corcoran-Gosselin ou Jim et Bertrand. Jasette. « Donne un coup de fil à René Letarte. Il vient de produire et réaliser notre album et il serait peut-être intéressé. »
Coup de fil à Montréal et Letarte lui dit de « descendre à Montréal » et apporter sa guitare.
Retour à la case de départ et un autre aller-retour à Montréal moins de sept ans après Jeunesse oblige. Cette fois-ci, succès. Robert Paquette chante ses chansons dans le salon de René et c’est l’entente, la reconnaissance. Le contrat de disque, le bon.
Enfin, les premières taches allaient s’épandre sur les pages du premier chapître.
Dépêche-toi soleil, une chanson écrite pour la création collective le 7e jour sortit finalement des presses. Un album auquel ont participé Richard Grégoire, Josianne Roy, et deux amis d’enfance de Paquette, Pierre Germain et Donald Laframboise. Un disque paru en 1974, quelques mois après une tournée de 45 spectacles à travers le Canada. Au retour, ses deux copains-musiciens reprennent le chemin du Nord et Paquette, lui décide de demeurer à Montréal, là où ça se passait.
« On avait quitté Sudbury avec nos tentes, mais allez donc trouver un terrain de camping, dans le centre-ville de Montréal. René Letarte nous avait donné carte blanche. Et nous, on voulait démontrer qu’il y avait une vie culturelle en Ontario français. »
Une première vie en studio et, Robert Paquette l’avoue, Dépêche-toi soleil se voulait, sans l’ombre d’un doute l’amalgame des premières années de carrière et des balbutiements de l’artiste et le seul disque produit par René Letarte. Fier de ses origines, il veut remettre aux Franco-ontariens un héritage digne de leur support inconditionnel durant toutes ces années et en mettre plein la vue au Québec. Il ne fait pas de grandes déclarations politiques sur son pays et ses habitants. Il sait qui il est, d’où il vient et où il va ! Il est et sera le troubadour sans attaches qui, sans renier ses origines, trouve toujours dans le moment présent l’inspiration de ses textes. Quatre titres se retrouvent sur la compilation, la chanson-titre, Moi j’viens du nord, Le gardien de mes rêves et La sueur au front.
Prends celui qui passe s’installe en 1976 et est produit par Gilles Talbot avec qui Robert Paquette avait signé un contrat de cinq disques chez Kébec-Disc. Sans contredit le disque le plus achevé de l’artiste de Sudbury. Un album qui cache une des plus puissantes pièces de l’auteur-compositeur interprète, Bleu et blanc, une chanson écrite dans la camionnette qui le ramenait de Montréal à Sudbury, tend à tisser un lien entre la situation dans l’Ontario français et la lutte des indépendantistes au Québec. Pour ce disque, il lance un « S.O.S. » à des amis musiciens hors Québec pour obtenir un autre son : les percussionnistes Bill Usher et Bill Cymbala, le joueur de dobro Kim Deschamps et, pour les tournées qui suivront, il sera épaulé par la voix superbe de Monique Paiement aussi claviériste, de Bruce Murcheson au violon et de John Czechowski à la basse.
Le deuxième chapître s’écrit avec des instruments peu utilisés en studio. Un dobro et un « slide » par exemple et des balais pour le batteur. On reconnaîtra cinq chansons de cet album sorti en 1976, Suzanne, Bleu et blanc, Baba nam, Ti blanc et Myosotis et violettes.
Fasciné qu’il est par les tournées, Robert Paquette construira son troisième album, Au pied du courant, en pensant aux journées et aux semaines qu’il passe sur les routes d’ici et d’ailleurs. Robert Paquette s’amuse et joue avec les sons et la dextérité des musiciens. Alan Walsh, un souffleur extraordinaire, le batteur Camil Bélisle et Yoland Houle à la basse « Fretless ».
« Le titre de ce microsillon rappelle cette expression qu’avaient les voyageurs qui, après un long portage, prenaient une pipée et repartaient. Comme moi après une tournée. »
Encore aujourd’hui, il se souvient de cette chanson, Rêve, dédié Ã sa petite fille et écrite à Spa où Robert Paquette représente le Canada au Festival de la chanson. Un rêve qui s’est vite transformé en cauchemar, en Belgique. Puisqu’on lui avait interdit d’effectuer la traversée avec ses musiciens, il a dû s’en remettre à un chef d’orchestre d’une cinquantaine d’années et qui ne savait même pas ce qu’était un « groove ». Le gagnant, il l’avait rencontré à bord du train entre Paris et Spa. Un gagnant qui, lui, avait pu compter sur tous ses musiciens. Son nom : Renaud. Et à Spa, il a fait une autre belle rencontre, un mec plus que sympathique. Son nom Francis Cabrel. Rêve a évidemment été retenue sur cette compilation de même que Vivre la force et Jamaïca.
Tout allait bien, Le Québec et le Canada français applaudissaient Paquette.
Mieux, les états-Unis emboîtaient le pas. Jusqu’à la sortie du quatrième disque, Paquette, en 1981, le chanteur aux chapeaux aura donné l’équivalent de 200 spectacles, une vingtaine avec Priscilla Lapointe, la sœur de Louise Portal, et la plupart, à guichets fermés chez nos voisins du Sud. Au Carnegie Hall de New York, à Boston, à Los Angeles. C’est un dénommé Lyman Carter, un ancien joueur de hockey qui lui a ouvert les portes du pays de l’oncle Sam. « Je donnais des spectacles pour des élèves qui apprenaient le français. On a même fait des plans d’études pédagogiques avec mes chansons. Moi, j’en profitais pour vendre des exemplaires de mes albums et de mes livres. Et j’aurais pu en vendre davantage si j’avais pu en mettre plus dans ma camionnette et ma roulotte déjà pleine à craquer d’équipements des musiciens.»
Autant sa carrière sur scène allait bien ici et aux États-Unis, autant une légère déception pouvait se lire sur le visage de l’artiste à la sortie de son quatrième et avant-dernier effort, Paquette.
De belles chansons dans une enveloppe qui n’était pas tout-à -fait la sienne. Un album d’ambiance au moment où Paquette souhaitait que ça brasse beaucoup plus. « Ce n’était pas exactement ce que je voulais. J’aimais beaucoup les chansons, l’ensemble avait un beau poli, mais le disque n’avait pas suffisamment de punch à mon goût. » Deux titres ont été retenus de cet effort, l’Hôtel du cœur brisé et Rentre pas trop tard.
Comme plusieurs autres artistes, Robert Paquette frappera le mur quand son ami le patron de Kébec-Disc, Gilles Talbot, trouvera la mort dans un accident d’avion. Reste deux disques à contrat de cinq. Tout ça survient au moment ou le disco crache son venin et le successeur de Talbot réclame des hits. Des chansons tonitruantes qui n’ont rien à dire. Donc à des années lumière de Paquette.
Dans tout ça, Robert Paquette avait un goût du rock sur le bout des lèvres. Ses chansons, il les voulait plus mordantes. Et ça se comprend après le traitement accordé au précédent, Paquette.
Le voici maintenant coincé bien malgré lui au beau milieu d’une saga interminable, écrasé entre les pressions de la compagnie de disque et l’urgence d’écrire et de composer. Avant de sortir l’album, Kébec-Disc exige un 45-tours et Paquette commet trois pièces dont la chanson-titre, Gare à vous, avec Jean Saint-Jacques (un ancien de d’UZEB) aux arrangements. C’est le rush de dix-sept heures pour le reste de l’album. Le disque terminé, on lui annonce qu’il n’y aura pas de clip, encore moins de tournée de promotion. Le désert. Le néant. Et de l’avis de Robert Paquette, ce disque avait été réalisé dans des conditions exécrables.
« Gare à vous ne sortira jamais sur étiquette Kébec-Disc », se promet-il.
Robert Paquette doit dorénavant enfiler son chapeau d’homme d’affaires et cogner à nouveau aux portes des autres compagnies de disque. Il a malheureusement un hic. La chanson-titre et seul 45-tours a déjà paru chez Kébec-Disc. Pour se libérer de ce contrat, on lui réclame 15 000 $. Il en reçoit autant en guise d’avance chez Trans-Canada où Walter Giadetti croit en lui.
Après moult rebondissements et plusieurs maux de tête, Gare à vous rejoint finalement les disquaires sous l’étiquette Trans-Canada. Paquette est à nouveau aux guidons de son art. La critique salue son spectacle (dans une mise en scène de Louise Bombardier et de Pier Paquette) au Spectrum de Montréal, le disque sort en France sur l’étiquette Ganesh et une tournée de quarante-cinq spectacles suit dans l’Hexagone. De cette dernière cuvée, trois chansons ont rallié la compilation, J’aime jouer, Question de chance et la chanson-titre.
Consécration et tout revient à la normale dans l’univers de Robert Paquette.
Erreur
On est en 1984 et après un automne chaud aux États-Unis, des spectacles au Club Soda et un autre séjour aux USA, la malchance s’acharne sur l’auteur-compositeur interprète.
La saga Kébec-Disc rangée dans les tiroirs barrés à tout jamais, voilà qu’un iceberg se dresse à nouveau sur son chemin. Rien de moins que la grande balayeuse qui décide de passer aux actes et de nettoyer jusqu’aux moindres recoins de Trans-Canada. Il ne l’a jamais vue venir celle-là .
Une tournée du Québec, une autre dans une quarantaine de villes aux États-Unis à l’automne, une semaine au Club Soda et au retour, sa gérante des dernières années, Evelyn Dubois, décide de ne plus faire ce métier.
Kébec-Disc et Trans-Canada unifiés, l’ancien directeur général du premier devient maître du jeu, ferme le catalogue entier de Robert Paquette. Plus rien sur le marché.
Plus de compagnie de disque et plus de gérant. Robert Paquette s’est retrouvé devant le vide absolu.
Et le goût de repartir à zéro n’était plus là , mais la flamme brûlait toujours.
« J’ai pris une sabbatique de trois ans », a-t-il expliqué.
Pas de spectacle. Pas de disque, mais un retour aux sources avec la remarquable pièce de théâtre de Jean-Marc Dalpé, prix du Gouverneur général, Le Chien, événement qui avait consacré, et son auteur et son principal interprète, Roy Dupuis. À Paquette, le dramaturge franco-ontarien avait demandé une musique teintée de blues, un son qu’il avait découvert durant les années 60, qui plus est, il avait insisté pour qu’il interprète sur scène et non sur une bobine les pièces qu’il avait écrites et composées pour Le Chien.
Un retour sur disque. Robert Paquette y croit et plus que jamais. Mais ce ne sera pas un effort en solo. Du moins pour l’instant.
Premières collaborations avec d’autres compositeurs. Avec Louise Beaudoin, étoile filante, la dernière pièce que l’on retrouve sur cette compilation et Visionnaire. Avec Daniel Bouliane, Je vis je m’abandonne et enfin, Bâtir pays, la chanson thème du film Le Cri du silence écrite en collaboration avec Jean-Marc Dalpé.
Après ces collaborations, il rejoindra bientôt ses collègues auteurs- compositeurs interprètes, Paul Demers et Marcel Aymar, ce dernier personnage déterminant dans l’aventure CANO, avec qui il monte régulièrement sur scène en formation de trio Paquette-Aymar-Demers (P.A.D.).
Il réalise le premier disque compact d’un de ses amis du nord. Celui de Chuck Jean-Guy Labelle. Co-parolier sur ce projet, le poète Michel Vallières a bien décrit Robert Paquette : « de la race de déracinés, il est né le sac au dos. Chez nous, c’est comme ça qu’on vient au monde. Chacun porte le poids d’un pays à rencontrer, à découvrir, à aimer. Robert, un pionnier, un déchiffreur, un ouvreur de pays, a décidé de faire voyager le sien. »
Un autre chanteur québécois.
Erreur.
Marc André Joanisse
février 1995
Extrait du livret d’accompagnement du cd
Moi j’viens du Nord compilation 1974-1990.